Plus que jamais dans le contexte actuel, il est urgent de piloter la complexité du changement systémique, et de rassurer sur notre capacité à le conduire dans une trajectoire durable et inclusive. C’est la démonstration que se donne pour objectif le cycle de l’ODD 17 en pratiques du mois de novembre. Quelles en sont les « preuves de concept » ?
Dès 2015, les travaux de recherche empirique du RAMEAU ont permis de modéliser le processus d’innovation sociétale. 7 ans avaient alors été nécessaires pour en comprendre les différents rouages. Lancé lors d’une conférence au Conseil économique, social et environnemental (CESE), sous la présidence de Jean-Paul DELEVOYE qui en était le Président, le référentiel « Modèle d’investisseur sociétal » en décryptait les spécificités et invitait à (ré)investir dans cette innovation d’intérêt général. Une décennie plus tard, il est intéressant d’en réécouter les fondements (cf. le replay de la conférence « Alliance & Innovation » de juin 2015). En septembre 2015, les 193 Nations Unies signaient l’Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable en inscrivant le 17ème Objectif comme un levier d’action prioritaire, et le rapport « Intérêt général : nouveaux enjeux, nouvelles alliances, nouvelle gouvernance » invitait à décliner en France un modèle d’engagement conforme à nos racines. En 2018, alors que le colloque au CESE « Intérêt général, dès aujourd’hui l’affaire de tous ? » avait mobilisé plus de 300 décideurs venus de France entière, le guide « l’investissement sociétal en Actions » rendait compte des résultats et des méthodes capitalisées pour accompagner le développement de l’innovation sociétale, de son émergence à son déploiement territorial.
La semaine prochaine, à l’occasion de la conférence sur les compétences pour piloter les projets de transformation organisée par la Direction de la Jeunesse, de l’Education Populaire et de la Vie Associative (DJEPVA) au Forum National des Associations et des Fondations (FNAF), Le RAMEAU dévoilera une nouvelle étape de mise en partage des Méthodes, Exemples, Données, Outils et Compétences (MEDOC) qualifiés depuis près de deux décennies. La mise en ligne de la plateforme « Piloter l’innovation sociétale : valoriser et développer ses compétences » permettra de donner accès à quatre parcours d’accompagnement des transitions : un parcours des 1ers pas pour (re)découvrir la notion d’innovation sociétale, un parcours expérientiel pour valoriser ses pratiques, un parcours d’exploration des ressources pour élaborer son propre parcours d’usage, et un parcours de développement des compétences en 7 modules.
Cette plateforme est lancée avec les partenaires stratégiques des travaux de recherche empirique qui ont été conduits depuis 2008 : la Fédération AGIRC ARRCO, le Groupe Caisse des Dépôts, la DJEPVA, la Fondation Bettencourt Schueller et le Fonds ODD 17. Pour bien comprendre son utilité, il faut rappeler l’importance de prendre en compte une « triple innovation » pour réussir les transitions que nous vivons.
Premièrement, il nous faut valoriser une diversité de solutions
L’ère de LA solution la plus performante est définitivement révolue ! Il convient aujourd’hui de valoriser une diversité de réponses pour couvrir l’ensemble des besoins avec pertinence. C’est ce qui marque la « fin des arrogances[1] ».
[1] Livre « Bien commun : vers la fin des arrogances » (Editions DALLOZ, Collection JURIS Associations, décembre 2016)
Si le Cap et le cadre peuvent être communs, comme nous y invite l’Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable, les solutions ne peuvent pas l’être. Selon les domaines, les acteurs et les territoires, l’agilité de l’Action doit s’adapter au « 1er kilomètre des besoins » à la fois pour créer plus de valeur, mais aussi pour être plus frugal et durable. Publiée le 3 octobre dernier, l’étude « Savoir se situer dans un monde en mutation » de l’Observatoire des partenariats en fait le décryptage au travers de 16 fragilités, de 10 profils d’acteurs et de 5 échelons territoriaux.
Deuxièmement, il nous faut ancrer et incarner nos chaines de valeurs
Il n’est plus possible d’innover « hors sol ». C’est bien l’enracinement dans un écosystème qui confirme ou infirme la valeur d’une innovation. A ce titre, l’analyse de la chaine de valeur d’un projet est centrale aujourd’hui. Dès 2008, c’est l’analyse des spécificités des chaines de valeur comparées des acteurs publics, des entreprises et des associations d’intérêt général qui a permis de qualifier les premiers enseignements sur la valeur d’une « économie de l’alliance » qui (ré)concilie économie et intérêt général. Le cahier de recherche « ODD 17 : Economie(s) & Territoire(s) » en décrypte le modèle.
Modèle systémique de l’économie de l’alliance
Cette modélisation systémique permet non seulement de comprendre la place de la chaine de valeur (cf. articulation dans l’écosystème), mais surtout les limites d’une analyse qui se focalise aujourd’hui sur une approche autocentrée de la chaine de valeur « interne » des organisations publiques et privées. L’absence de pensées structurelles sur l’infrastructure et les ingénieries qui permettent d’articuler les acteurs entre eux est la faille principale de l’analyse de nos modèles d’actions : elle se centre sur l’acteur au lieu de le décentrer sur son écosystème. Nous analysons les actions, sans identifier les interactions. Comment dans ces conditions donner une vision réelle et objective de l’état des lieux ?
Pour prendre une comparaison, c’est la même erreur stratégique que lorsqu’avant la Renaissance nous tentions d’analyser le système solaire à partir de la Terre[1]. Cet EGO-centrisme doit laisser place à un ECO-centrisme. Le cahier de recherche « ODD 17 : quelles trajectoires territoriales ? » invite en ce sens à faire des Projets de Territoire des leviers d’un pilotage de « l’intérêt général à portée de main ».
Cette approche écosystémique est encore plus importante lorsque le projet prétend devenir une innovation sociétale. De même que ce n’est pas le chercheur qui détermine la validité de son médicament mais son AMM – Autorisation de Mise sur le Marché- reçue d’une Autorité compétente ; de même l’initiative ne devient innovation sociétale que si elle en reçoit l’approbation à la fois des institutions et des Territoires d’implantation.
En matière d’innovation sociétale, il est donc indispensable d’associer l’innovation sociale (celle qui agit sur la fragilité des personnes) à l’innovation territoriale (celle qui prend en compte la fragilité des écosystèmes locaux). Le mois de novembre sera l’occasion d’observer les avancées en matière de (re)connaissance de la valeur de cette innovation territoriale, ainsi que d’outillage des organisations et des Territoires avec de nombreux nouveaux outils (cf. article « L’innovation territoriale en 7 Actes »).
Après l’effort de valorisation de la diversité des solutions, il nous faut aussi apprendre à (re)connaitre la valeur des infrastructures et des ingénieries qui structurent nos chaines de valeur pour les rendre interconnectables. Mais, ce n’est pas tout. Il reste ensuite à tenir compte de la 3ème innovation : celle de « l’équilibre de la Maison », autrement dit d’un modèle socio-économique durable et inclusif.
Troisièmement, il nous faut inventer de nouveaux équilibres socio-économiques
Savoir passer de l’objectif à la trajectoire pour agir efficacement est nécessaire[2], mais n’est pas suffisant. Il est aujourd’hui indispensable de comprendre et de piloter la 3ème source d’innovation : l’équilibre socio-économique, sans lequel aucune innovation ne peut se développer. Il est important de comprendre que cet équilibre est évolutif dans le temps, et mobilise des parties prenantes très diverses.
Le processus d’innovation sociétale et ses parties prenantes
Dans l’approche française de l’innovation, la phase de modélisation est très largement sous-estimée. Croyant naïvement que l’on peut passer directement de la « preuve de concept » à l’essaimage, la question centrale du modèle socio-économique est « sous les radars ». En effet dans la phase d’expérimentation, c’est l’action qui est centrale ; là où en phase d’essaimage, c’est l’évaluation… mais entre les deux, c’est bien la faisabilité du déploiement qui devrait être au cœur des préoccupations alors qu’elle ne se limite trop souvent qu’à un « marketing de l’offre » pour packager la « preuve de concept ». L’importance de l’infrastructure d’une part, et le modèle socio-économique durable d’autre part sont bien souvent les grands oubliés des trajectoires de nos processus d’innovation, plus encore lorsqu’il s’agit d’innovation sociétale.
Le mois de novembre sera donc aussi l’occasion de faire la pédagogie de l’anticipation nécessaire à toute innovation sur l’évolution de son équilibre socio-économique afin de ne pas mettre en risque une innovation à fort impact potentiel. Comme pour la pédagogie de l’innovation territoriale menée en parallèle, 7 Actes permettront d’en qualifier les enjeux et les pratiques.
Passons-les en revue :
- 5/11: le webinaire de l’ADEMA a été l’occasion de mettre en perspective les liens entre les modèles socio-économiques d’intérêt général et les impacts de performance, d’innovation et de confiance des nouvelles alliances ( support de webinaire).
- 7/11 : le 149ème numéro des Jeudis de l’ODD 17 fera découvrir en avant-première une première monographie réalisée par l’ADASI sur les modèles socio-économiques d’intérêt général dans le cadre du nouveau guide qui sera lancé à l’occasion du Forum National des Associations et des Fondations. Vous pourrez aussi écouter dans ce même numéro l’interview « 3 questions à… » Caroline GERMAIN, Déléguée générale de l’ADASI, qui en éclaire les enjeux.
- 13/11 : la conférence de la DJEPVA sur les compétences au FNAF 2024 marquera trois lancements de nouveaux outils.
- Un an après le lancement de la plateforme « Trajectoires socio-économiques », le guide de l’ADASI sur les modèles socio-économiques d’intérêt général viendra en illustrer la diversité.
- Le nouveau module « Hybrider son modèle socio-économique » permettra à chacun de valoriser ses pratiques incarnant des trajectoires durables et inclusives.
- La nouvelle plateforme « Piloter l’innovation sociétale : valoriser et développer ses compétences » proposera 4 parcours pour consolider ses connaissances et ses aptitudes à conduire une démarche d’innovation ( supra).
- 14/11 : dès le lendemain du FNAF, le 32ème webinaire mensuel sur les nouveaux équilibres socio-économiques mettra en valeur la manière dont les médias valorisent l’engagement qui est au cœur de l’innovation sociétale, et notamment celui des Jeunes qui agissent au plus près des réalités locales ( article «L’Avenir : Jeunesses & Territoires »).
- 25/11 : la 21ème session de l’espace d’articulation des ingénieries d’intérêt général sera l’occasion de valoriser la mutualisation de moyens mise en œuvre dans le cadre du programme « Réussir ensemble la territorialisation des transitions » impulsé par le Fonds ODD 17.
Ces 7 Actes convergeront ensuite le 26 novembre lors du 7ème diner « Elus & Entreprises » de la Fondation des Territoires à l’occasion duquel cette dernière publiera sa 4ème note annuelle. Elle aura pour thème « L’innovation territoriale en Actions ! » … et la boucle sera bouclée en matière de pédagogie sur les moyens de piloter une « triple innovation » à la hauteur des défis de la transformation systémique que nous vivons. Il nous restera ensuite à passer à l’Action pour intensifier les soutiens aux actions, acteurs et alliances d’intérêt général dont l’Avis du CESE du 28 mai dernier nous rappelle l’urgence (cf. article « une Victoire collective pour Intérêt général ») !
[1] Livre « Projet (Re)Naissance : de l’économie de l’alliance à la (re)découverte de notre Lien commun » (Fondation pour la Co-construction du bien commun, Editions Le RAMEAU, septembre 2021)
[2] Voir méthode « Impacts & Trajectoires » en expérimentation jusqu’au 19 décembre 2024