En 2015, la publication du référentiel « Modèle d’investisseur sociétal » invitait à se questionner sur les leviers de déploiement de l’innovation d’intérêt général. L’articulation entre les solutions numériques et l’agilité des Territoires s’inscrivait comme un « signal faible » stratégique. Où en sommes-nous aujourd’hui ? C’est le sens de la note stratégique « Numérique & Territoires : l’émergence d’une alliance innovante ! ».
L’article en date du 19 mai, « Transitons : 3 Récits pour Agir VIT-E » insiste sur l’importance de Relire notre histoire collective, et de la Relier à nos défis communs, afin de pouvoir Ré-inventer nos modèles d’actions. S’il y a bien un sujet sur lequel il est important de faire cette relecture, c’est celui de l’impact du numérique sur le déploiement de l’innovation sociétale, ainsi que sur la conduite du changement des transitions. C’est ce que nous rappelle l’article « Transitions : Ensemble, accélérons ! ». Ce 3ème article de la trilogie sur la rétrospective de 10 ans de cheminement en lien avec le 17ème Objectif de Développement Durable décrypte les étapes des liens entre l’accélération du numérique et la valorisation des capacités d’innovation des Territoires.
Dès 2017, l’enjeu de ne pas opposer la puissance du numérique avec l’agilité de l’action de terrain a été mis en avant lors de la publication du livre blanc « L’innovation associative ». La capacité à articuler innovations sociales et innovations technologiques au service des Hommes et des Territoires y était à la fois qualifiées, mesurées et illustrées. Cette publication a été l’un des fondements du lancement de l’étude d’impact du faire alliance en France, réalisée entre 2018 et 2022 par l’Observatoire des partenariats. Ce fut aussi l’occasion de capitaliser les travaux réalisés sur les liens entre le développement du numérique et la capacité d’innovation sociétale depuis 2006. Ce fut l’objectif de la mise en ligne du centre de ressources numériques « Numérique & Innovation sociétale ». Après le temps de la recherche (2006-2013), puis celui de l’action pour en modéliser les résultats (2014-2017), le temps de la projection s’inscrivait dans une trajectoire 2018-2020 (cf. Récit du cheminement des travaux).
C’est en 2015 que les liens entre « Numérique & Territoires » commencèrent à se structurer. Lors de la conférence au CESE « Alliances & Innovations », à l’occasion de la publication du référentiel « Modèle d’investisseur sociétal », deux leviers stratégiques d’accélération des innovations d’intérêt général ont été mis en valeur : la force du numérique pour déployer d’une part, et l’agilité des Territoires pour faire émerger des réponses innovantes d’autre part.
Grâce aux moyens mobilisés par la Fondation Bettencourt Schueller, deux premières initiatives avaient alors été engagées pour en comprendre les enjeux et les pratiques :
- Organiser la 1ère Rencontre des pionniers des alliances en Territoire, le 8 janvier 2015, avec le Labo des partenariats de Strasbourg, à la suite des travaux menés avec l’Association des Régions de France,
- Mettre en ligne librement accessible le 1er centre de ressources numériques sur l’accompagnement associatif avec le Syntec Conseil en Management, et le 1er Mooc avec l’ESSEC « les partenariats qui changent le monde» sur la plateforme Coursera.
L’objectif était double : d’une part de mieux comprendre la diversité des ingénieries de proximité (cf. référentiel « Co-construction territoriale » et fiche Repères « Dynamiques d’engagement des ingénieries »), et d’autre part apprendre à transmettre les résultats issus des travaux de recherche empirique du RAMEAU.
Après avoir qualifié la diversité des MEDOC[1] – Méthodes, Exemples, Données, Outils et Compétences – développés dans le cadre des expérimentations apprenantes, encore fallait-il inventer la manière d’en partager les enseignements. Il ne s’agissait plus seulement d’inventer un « médicament » pour accélérer les innovations, encore fallait-il comprendre comment le « traitement » pouvait se déployer.
L’enjeu était de taille : laisser chacun libre de définir son propre parcours d’usage en choisissant les outils pour s’informer, se former et agir efficacement selon son profil, ses objectifs et sa maturité. Il s’agissait en effet de sortir du mythe de la « boite à outils » universelle pour rendre compte de la diversité des pratiques. Loin de vouloir simplifier une réalité qui ne l’est pas, il convenait au contraire d’apprendre à en piloter la complexité. Le processus de recherche empirique du RAMEAU – fondé sur le temps long (7 ans de R&D et 3 ans de modélisation) – s’est révélé à la fois pertinent, efficace et efficient.
Il aura fallu en effet une décennie pour parvenir à décrypter la diversité des pratiques, et à en rendre compte simplement (cf. étude « Savoir se situer dans un monde en mutation »). Les 10 profils d’acteurs, les 16 domaines d’actions et les 5 échelons territoriaux analysés ont en effet des objectifs, des moyens et des modalités d’action très différents. En nier la spécificité, c’est prendre le risque d’être très rapidement « hors sol ». Comment favoriser l’appropriation pour tous les acteurs, dans tous les domaines, sur tous les Territoires ? Face à ce pari impossible, 10 ans et 11,1 M€ d’investissements n’auront pas été de trop ! Un immense merci à la Fondation Bettencourt Schueller d’y avoir cru et d’avoir accepté – le 20 mai 2014 – de faire les premiers investissements nécessaires. Notre laboratoire de recherche empirique était alors encore bien naïf, car il pensait qu’il faudrait « seulement » 3 ans et 3 M€ pour réussir ce défi…
Alors pourquoi cette temporalité et l’ampleur des moyens mobilisés ?
Pour élaborer une méthode de pilotage d’un changement systémique, adaptée à la diversité des besoins, des envies et des engagements, il aura fallu 3 étapes :
- La phase de R&D: entre 2014 et 2020, la capitalisation a permis de garder mémoire du cheminement des différents travaux de recherche. Pas moins de 11 centres de ressources numériques (CRN) ont ainsi pu être créés autour de 4 axes afin de partager le cadre de référence, les exemples inspirants, les méthodes et les « boites à outils » issus des expérimentations.
- La phase de modélisation: l’accélération du programme « Numérique & Territoires » en 2020 a été impulsée à la fois par les 21 mesures issues de la mission ministérielle sur l’accélération des alliances stratégiques et par la crise sanitaire. La Ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline GOURAULT, a appelé les acteurs territoriaux à venir soutenir « l’Etat jardinier » en faisant appel à « l’intelligence des Territoires » ( discours de la Ministre). L’étude IMPACT-Elus locaux lancée à cette occasion montrait alors l’envie des Collectivités territoriales de passer à une nouvelle étape de co-construction de Projets de Territoire qui incarnent le 17ème Objectif de Développement Durable en pratiques. La plateforme odd17.org a été mise en ligne un an après à l’occasion de la 7ème Rencontre des pionniers des alliances en Territoire. Pour valoriser les pratiques innovantes, la base IMPACT-Alliances en recense la diversité, et pour suivre le mouvement l’Observatoire des partenariats en mesure depuis 2008 les avancées. Animée hebdomadairement, mensuellement, trimestriellement et annuellement, cette connaissance mutualisée au travers de « Commun(s) » numériques constitue un socle de référence pour croiser les Méthodes, Exemples, Données, Outils et Compétences – les fameux « MEDOC » – pour accélérer les transitions. Cette démarche à la fois agile et rigoureuse est inspirée du chemin du médicament pour en garantir à la fois l’efficacité, la faisabilité et l’innocuité.
- La phase de déploiement: l’accès à la connaissance est une condition nécessaire mais pas suffisante du passage à l’action. Sa déclinaison en formats d’appropriation est nécessaire pour en permettre un parcours d’usage adapté à la diversité des situations. Il aura ainsi fallu inventer et formaliser pas moins de 7 formats pédagogiques : des modules de sensibilisation des gouvernances aux syllabus académiques, en passant par les parcours « découvertes » pour faire ses premiers pas, et aux parcours « expérientiels » pour valoriser ses pratiques. Ces formats ont ensuite été déclinés sur les 4 objectifs stratégiques du « faire alliance » : coopérer efficacement, développer des trajectoires socio-économiques durables & inclusives, piloter l’innovation sociétale et co-construire des Projets de Territoire à la hauteur de nos défis en « Commun(s) ».
Le tableau ci-dessous rend compte de ce cheminement empirique.
Le numérique comme accélérateur de l’innovation territoriale a été très largement valorisé dans la note stratégique « L’innovation territoriale en Actions » de la Fondation des Territoires lors du dernier Salon des maire. Il a été illustré dans le dernier webinaire de la plateforme Trajectoires socio-économiques : « L’innovation territoriale en actes – L’exemple du numérique éthique et inclusif ».
Apprendre à articuler les 3 « Territoires de légitimité » !
Ce « Récit » est la 8ème prise de position du RAMEAU sur l’impact du numérique sur les transitions depuis 2011 (cf. CRN « Numérique & Innovation sociétale – Connaissance du numérique »). Pour en comprendre l’utilité, il faut rappeler les rôles des Territoires dans la transformation systémique, ainsi que les « Territoires de légitimité » où ils s’appliquent.
Les Territoires jouent trois rôles structurants dans les trajectoires de transitions :
- Ils sont les lieux d’incarnation de « l’intérêt général à portée de main », là où il est possible pour chacun d’agir concrètement et personnellement sur la transformation. C’est la raison pour laquelle la notion de « Territoire » est à géométrie variable selon l’acteur qui en parle ( note « Quelle(s) définition(s) des Territoires »).
- Ils sont des « paillasses » d’expérimentations, parfaitement adaptées pour « capter les signaux faibles » et appréhender le « 1er kilomètre » des besoins, des ressources et des envies d’engagement. Les Territoires jouent un rôle déterminant pour garantir la pertinence des initiatives engagées (cf. guide pratique « L’investissement sociétale en actions »).
- Ils sont des espaces de confiance, là où il est possible de prendre le risque de sortir de « l’entre soi » pour expérimenter la valeur de « l’entre tous » ( Chartes d’engagement réciproque du faire alliance).
Dans ce contexte, il est utile de bien définir les « Territoires de légitimité ». Le RAMEAU en qualifie trois en matière d’activation de l’intérêt général :
- Les « Territoires symboliques» : c’est le cap et le cadre communs qui permettent de fédérer une vision partagée des enjeux et des objectifs prioritaires. Dans un contexte de crises et d’incertitudes, il est stratégique d’avoir des références en « Commun(s) » C’est le sens de la valeur à la fois politique et philosophique de l’Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable ( le rapport « Agir VIT-E : Valeurs, Impacts & Trajectoires – Ensemble »).
- Les « Territoires physiques» : la réalité de terrain intègre la diversité des spécificités locales. Le cahier de recherche « ODD 17 : quelles trajectoires territoriales ? », l’étude Impacts & Trajectoires réalisée auprès des élus locaux, et le kit pratique « Réussir ensemble les transitions » en font la pédagogie active.
- Les « Territoires numériques» : espaces de production de contenu, mais aussi de mobilisation et d’engagement, ce 3ème « Territoire de légitimité » n’est pas un simple outil. C’est aussi un adjuvant des transitions ( note « Pourquoi le numérique n’est pas un outil comme les autres ? »). A ce titre, comme tous les « principes actifs » utilisés comme traitement thérapeutique, il peut à la fois être poison et remède. En grec, le mot « pharmakon » désignait cette ambiguïté qui nécessite un usage mesuré et attentif de la solutions activée.
Alliés ou ennemis ? Tel est l’enjeu stratégique de l’articulation de ces trois légitimés pour piloter les transitions.
Avant de découvrir le 7ème et dernier module de la plateforme Piloter l’innovation sociétale : « Accélérer grâce au numérique », nous vous invitons à écouter ce jeudi 22 mai, à 12 h, Francis JUTAND, Professeur émérite à l’Institut Mines Telecom. Il témoignera des conditions pour un numérique éthique et responsable.
Alors qu’attendons-nous ? En activant à la fois la puissance numérique et l’agilité des Territoires, « Ensemble, Créons de la valeur en Commun(s) » pour (re)donner confiance dans l’Avenir.
[1] Clarification sémantique : MEDOC est l’anagramme de Méthodes, Exemples, Données, Outils et Compétences. Ce sont des traitements de chocs pour nos défis en Commun(s). Les MEDOC éprouvés par la pratique des pionniers permettent aujourd’hui de lutter efficacement contre nos fragilités collectives. Ils sont issus d’un processus de recherche empirique développé par Le RAMEAU fortement inspiré du chemin du médicament.
