Une « usine » de la co-construction en France ?

Le « jouer collectif », facile à dire, plus difficile à vivre ! Il ne suffit pas de dire « alliance », « alliance », pour qu’elles se mettent en place… Il faut apprendre à faire alliance, et cela demande une infrastructure adaptée.

Après l’émergence du « droit d’alliance d’intérêt général » (cf. Tribune du JDD du 14 février), l’ingénierie d’alliance est le second levier structurel pour accélérer le mouvement de co-construction du bien commun en France.

A l’heure où Le RAMEAU fête ses 15 ans, il n’est pas inutile de relire le chemin apprenant parcouru, et de le relier à nos défis actuels. Notre laboratoire de recherche empirique a en effet très modestement contribué à structurer une ingénierie d’alliance grâce aux 500 « compagnonnages » qu’il a vécus avec une diversité d’organisations publiques et privées. Durant un minimum de 3 ans avec chacune d’elles, ces « dialogues de gouvernance » ont permis de capitaliser les pratiques innovantes des « pionniers » de la co-construction du bien commun, au plus près des Territoires. Il s’agissait de voir, au-delà des stratégies annoncées, quelles étaient les Actions réellement mises en place pour contribuer à nos enjeux communs, et quelles dynamiques de partenariat étaient appliquées en pratique. Ces dernières l’ont souvent été de manière plus empirique que stratégique. Seule l’observation de terrain permet d’en capter les « signaux faibles ».

Fort d’un travail de modélisation très pragmatique, ces retours d’expériences se sont traduits de 3 manières pour alimenter les organisations et les Territoires : une vision partagée sur l’existant et le potentiel du « jouer collectif », une diversité d’outils pour alimenter les systèmes de gestion, et une activation de l’action collective transformatrice. Passons en revue ces différentes contributions au mouvement de co-construction du bien commun.

Eclairer un mouvement « sous les radars »

C’est en 2015, après une première décennie d’actions, que Le RAMEAU décide d’accélérer la (Re)Connaissance du mouvement à l’œuvre sur les Territoires. Il y est encouragé non seulement par les résultats de ses travaux de recherche empirique, mais aussi parce que la signature des Objectifs de Développement Durable, le 25 septembre 2015, marque un véritable tournant dans la légitimité des dynamiques partenariales. La co-construction est institutionnellement reconnue comme un levier stratégique pour appréhender les défis systémiques de l’Agenda 2030. Elle est même élevée au rang d’objectif avec l’ODD 17.

Afin d’éclairer les dynamiques déjà à l’œuvre, Le RAMEAU publie des référentiels après un minimum de 7 ans d’expérimentations de terrain. Ils exposent les pratiques des organisations publiques & privées, des enjeux qu’elles adressent jusqu’aux impacts réellement constatés. Ces outils stratégiques sont ensuite déclinés en guides pratiques, ainsi qu’en centres de capitalisation numérique pour partager largement les fruits des exemples inspirants.

Pour aller plus loin, Le RAMEAU a décidé à partir de son 10ème anniversaire de publier des livres pour valoriser la philosophie politique de l’Action partenariale. « Bien commun : vers la fin des arrogances ! » en 2016, « Oser l’intérêt général !» en 2017 et « L’Alchimie du bien commun » en 2018 en ont été les trois premiers volets. Prochaine étape : le 1er octobre prochain avec le livre « Projet (Re)Naissance : l’ODD 17, l’Alchimie du Lien commun ». Il rendra compte des avancées réalisées en France depuis 15 ans. Certes nous ne sommes pas encore aux objectifs de l’Agenda 2030, mais qui se souvient du chemin parcouru en une décennie ? Et si, plutôt que de voir systématiquement le « verre à moitié vide » en critiquant ce qui n’est pas encore fait, nous nous mettions collectivement à valoriser les Actions de terrain qui incarnent le « verre à moitié plein », et nous donnent ainsi espoir dans notre capacité collective à réussir les Transformations à l’œuvre. Le RAMEAU, en tant que laboratoire de recherche empirique profondément lié aux Territoires, peut témoigner de l’épreuve mais aussi des preuves du Temps !  N’ayons plus peur, assumons nos fragilités structurelles et faisons d’elles un levier de force collective pour relever les défis de ce début de XXIème siècle. Agir ensemble, c’est non seulement possible, mais déjà là !

Une anecdote. En 2006, l’année de création du RAMEAU, Jean d’ORMESSON a appelé le président-fondateur pour le féliciter de son nouveau projet (… il l’avait connu 15 ans auparavant lors d’un projet au service des jeunes défavorisés). Soulignant l’intérêt de remettre au goût du jour la notion de bien commun peu usitée alors, il a vertement critiqué le choix du terme « co-construction », un barbarisme selon lui indigne des oreilles d’un Immortel de l’Académie Française…. Que de chemin parcouru depuis !

Outiller les organisations et les Territoires

Comprendre c’est bien ; Agir, c’est mieux ! L’objectif du RAMEAU n’est pas seulement d’apprendre des démarches partenariales innovantes, il est aussi de transformer les expérimentations des « pionniers » en outils opérationnels pour les organisations publiques & privées, ainsi que pour les collectifs actifs en Territoire. L’expérience de ceux qui prennent le risque d’essayer doit permettre à ceux qui suivent d’être rassurés et de bénéficier des enseignements de leurs prédécesseurs. Sans cela, quelle utilité à l’action collective ? Certes Confucius disait « l’expérience est une bougie qui n’éclaire que celui qui la porte », mais n’est-il pas possible – sans vouloir normaliser les exemples inspirants – d’en retirer des « balises » pour permettre à chacun de se repérer dans l’Action ?

Très inspiré par le « chemin du médicament » depuis 2007 grâce à son « compagnonnage » avec la Présidence de l’AFM-Téléthon, Le RAMEAU mettra en place informellement dès 2014 la démarche M.E.D.O.C. pour transformer le savoir acquis en savoir-faire transmissible. Pour cela, il faut :

  • M.éthodes: les publications ne suffisent pas à faire passer à l’Action, il convient d’accompagner la prise en main et l’appropriation des enseignements issus de la pratique de terrain. Le RAMEAU testera puis déploiera progressivement différents formats d’appropriation, du plus technique au plus simple : les contenus académiques, les programmes collectifs & parcours d’expérience, les ateliers applicatifs, les MOOCs, les visites inspirantes et les webinaires. Il lancera le 13 avril prochain son 7ème format : les « parcours A.D.O.C. » autour d’autodiagnostics permettant d’accéder à des Données, Outils et Compétences d’accompagnement adapté à ses besoins en fonction de sa maturité. Ne manquez pas ce lancement !
  • E.xemples : aujourd’hui où l’autorité des « pères » est contestée, c’est celle des « pairs » qui permet de faciliter l’appropriation de l’expérience. Il ne s’agit plus seulement de décliner les outils par grand profil d’acteur (collectivités, entreprises, associations, fondations, académiques…), mais de pouvoir illustrer la pratique de ceux qui sont le plus proche de la cible. A titre d’exemple, il ne suffit plus de créer un guide pour les entreprises, mais de pouvoir l’incarner par des exemples provenant de TPE, de PME, d’ETI et de grandes entreprises pour (dé)montrer les différences de pratiques au sein de chacune de ces catégories d’acteur. Après une première tentative de « bibliothèque de cas pratiques » en 2013, il aura fallu attendre 2019 pour être prêt à partager la diversité des exemples (tous domaines, tous acteurs, tous territoires) grâce à la base de connaissance IMPACT-Pratiques partenariales innovantes. Encore en phase de prototypage, cet outil devrait connaître des évolutions majeures dans les 18 prochains mois pour permettre à chacun de se repérer dans la diversité des pratiques déjà à l’œuvre.
  • D.onnées : dès 2008, 18 mois après la création du RAMEAU, le besoin de dépasser les « bonnes pratiques » des pionniers se fait sentir. Il faut être en mesure d’évaluer la maturité collective en comprenant en profondeur comment les Français, les élus, les dirigeants d’entreprise, les responsables associatifs… se saisissent de la question du « jouer collectif ». Grâce à la rencontre avec la philosophe, sociologue et statisticienne Anne ROBIN (… et oui, elle a les 3 formations !), l’idée de créer l’Observatoire des partenariats est née. Elle acceptera d’en porter bénévolement la Direction scientifique des études (… toujours aujourd’hui !), et la Caisse des Dépôts, malgré la récence d’un sujet encore totalement « sous les radars », acceptera d’en être le co-fondateur aux côtés du RAMEAU. Le Mouvement associatif et le MEDEF en seront les premiers partenaires. Depuis lors, le mouvement de co-construction en France est suivi au travers de programmes quinquennaux d’études. Après le programme ARPEA de 2008 à 2012 sur l’état des lieux des partenariats en France, puis PHARE sur les fragilités prioritaires sur les Territoires de 2013 à 2017, le programme IMPACT de 2018 à 2022 a pour objectif de mesurer les effets de levier des alliances d’intérêt général sur l’innovation, la performance et la confiance. Publiés le 30 mars, les kits pratiques « Connaissance des Dynamiques Régionales », déclinés pour les 13 régions métropolitaines, illustrent parfaitement l’utilité d’avoir des données fiables pour comprendre les dynamiques d’alliance à l’œuvre au sein des organisations et sur les Territoires.
  • O.utils : dès 2014, le premier « Centre de ressources numérique » (CRN) du RAMEAU est créé pour capitaliser les outils issus des expérimentations de terrain. 10 ont été progressivement développés, et un 11ème est venu en relier les autres. Ils sont naturellement tous en « open source » pour permettre à chacun de s’en saisir. En 2018, conscient que ces CRN sont accessibles principalement aux experts et « pionniers », Le RAMEAU décide de créer une plateforme pédagogique pour adapter les outils à ceux qui débutent leur cheminement. Le 24 décembre 2018 sera ainsi mise en ligne la plateforme « l’innovation territoriale en Actions », animée au travers d’un cycle annuel de webinaires. En 2019, il s’agira de qualifier « qu’est-ce que l’innovation territoriale ? », en 2020 « l’ODD 17 en pratique », et en 2021 « les Catalyseurs Territoriaux en pratique ». A l’occasion de la mission ministérielle « Accélérer les alliances stratégiques entre associations, entreprises et collectivités », le kit « l’ODD 17 en pratique » a rendu visible et lisible la diversité des outils disponibles pour « jouer collectif ». Pour aller plus loin, le 12 juillet prochain, à l’occasion de la 7ème Rencontre des pionniers des alliances en Territoire, une nouvelle plateforme de capitalisation sera mise en ligne : la plateforme « l’ODD 17 en pratique ». Pourquoi une telle diversité ? Il est important de souligner la nécessité d’adapter les outils pour les « pionniers », les « actifs », les « premiers pas » et ceux qui ne sont pas encore engagés. Selon la maturité des acteurs, les outils et les conditions d’accès ne peuvent pas être les mêmes.
  • C.ompétences: au-delà de l’autoformation, l’accompagnement des organisations et des territoires est une clé de voûte de la conduite du changement à opérer. La mobilisation des métiers du conseil en stratégie et management depuis 2008 sous l’égide de Syntec Conseils a largement contribué à mobiliser les expertises nécessaires pour aider les acteurs à se saisir des nouvelles opportunités offertes par le « jouer collectif ». De plus, de manière informelle, une nouvelle ingénierie s’est développée sur les Territoires : la « catalyse ». Il s’agit là de la 3ème ingénierie aux côtés de celle de gestion et de celle du management de projet. La création des liens entre les acteurs, et le développement de l’interconnaissance autour d’enjeux partagés permettent de faire émerger des relations innovantes. En 2014, le Réseau des pionniers des alliances en Territoire est créé pour rassembler la centaine d’acteurs locaux qui assurent cette fonction. Ce sont aujourd’hui plus de 350 « Catalyseurs Territoriaux » qui animent quotidiennement les capacités à « jouer collectif ». A l’autre bout de la chaine, la capacité à accompagner le déploiement des innovations sociétales : la création de l’ADASI en 2014 et le lancement par la Caisse des Dépôts à partir de 2016 du dispositif qui est devenu le Fonds i, sont deux exemples des solutions innovantes co-construites. Troisième axe de développement des compétences, la mobilisation du monde académique, tant dans le volet recherche qu’enseignement. L’ESR se mobilise progressivement sur le mouvement de co-construction du bien commun en France. Le récent séminaire de recherche organisé avec l’Institut pour la recherche de la Caisse de Dépôts en rappelle l’utilité.

Cette démarche M.E.D.O.C. pour transformer le savoir en savoir-faire fut rendue possible par l’engagement de la Fondation Bettencourt Schueller qui a investi les premiers 1,5 M€ de la capitalisation et de la mise à disposition de tous d’outils après qu’ils aient été adaptés à la diversité des objectifs, des moyens, des maturités… et des envies des différents profils d’acteurs.

Au-delà du partage de la connaissance, et de sa transformation en compétences, Le RAMEAU a souhaité aller plus loin en initiant aussi différentes démarches de co-construction.

Co-construire des espaces de dialogue et de nouveaux dispositifs collectifs

Pour Agir ensemble, co-construire les infrastructures est une nécessité. Deux axes ont pu être expérimenté au sein du RAMEAU : la création d’espaces de dialogue, et l’invention collective de dispositifs permettant de répondre à plusieurs là où aucun ne peut créer seul la réponse nécessaire.

Concernant les espaces de dialogue, le G10 en 2009, les Cercles « Fondations d’avenir » en 2012, « Intrapreneurs sociétaux » en 2013, « RSE & Partenariats des PME » en 2014, et « Investisseurs sociétaux » en 2016, le Collectif « Mutations d’intérêt général » en 2014, ou encore l’espace de dialogue des ingénieries nationales & territoriales issu de la démarche d’anticipation de sortie de crise menée en 2020 sont quelques exemples des lieux d’échanges qui se sont progressivement mis en place pour partager entre « pionniers » les pratiques efficaces, voire pour agir ensemble afin de développer des solutions innovantes. Ces espaces de dialogue permettent de croiser les regards, et de favoriser l’interconnaissance entre acteurs issus de « mondes » différents.

Dès l’origine des travaux de recherche, certains manques structurels ont été observés. Les expérimentations de terrain ont souvent contribué à initier des démarches apprenantes de co-construction. De l’Observatoire des partenariats avec la Caisse des Dépôt en 2008 à la signature des statuts du Fonds i le 1er avril 2021, en passant par l’ADASI en 2014 sur l’accompagnement stratégique des acteurs d’intérêt général, du Réseau des pionniers des alliances en Territoire la même année, de la Fondation pour la Co-construction du bien commun en 2016 pour valoriser les actions au long cours, de la Fondation des Territoires en 2019, ce sont déjà 6 dispositifs nationaux qui ont ainsi été co-construits. Tous ne viennent pas de l’échelon national, la démarche « Agir ensemble en Territoire » à Poitiers, initiée en 2011, a donné lieu à la création de l’association Silver Geek qui déploie aujourd’hui sa solution de lutte contre la fracture numérique en partenariat avec Unis-Cité.

Les 15 ans au service des alliances d’intérêt général confèrent aujourd’hui au RAMEAU une certaine légitimité pour éclairer sur notre maturité collective. En la matière, il ne suffit pas seulement d’en parler, ni même de les cadrer par des réglementations, mais avant tout de les vivre pour en comprendre les ressorts. De la fécondation des territoires dans leur capacité à « faire alliance » jusqu’à l’accompagnement au déploiement des innovations sociétales, l’impact du « jouer collectif » est multi-facettes. Au-delà de la co-construction de ces ingénieries, il est indispensable de s’attacher aussi à les valoriser. C’est la raison pour laquelle le Fonds ODD 17 a été créé avec la Fondation Total. Durant 18 mois, il va expérimenter la manière de donner une « prime à l’alliance ». Il s’agit là du 3ème levier structurel pour accélérer les alliances d’intérêt général aux côtés d’un « droit » et du développement des ingénieries adaptées. Une belle innovation qui là aussi se co-construit. Affaire à suivre…

En ces moments difficiles où le « jouer collectif » est plébiscité par tous (cf. les dernières études de l’Observatoire des partenariats), notre laboratoire de recherche empirique peut témoigner de sa valeur, source de performance pour les organisations impliquées, d’innovations territoriales & sociétales, mais aussi de confiance individuelle et collective. « L’usine » de la co-construction se construit progressivement en France. La co-construction du bien commun est déjà beaucoup plus incarnée qu’il n’y paraît. Vous en voulez une preuve ? Rien qu’en cette semaine, en voici trois :

  • La réunion du Cercle de l’Alliance Dynamique du Groupe La Poste hier pour partager les démarches innovantes d’inclusion numérique au cœur des Territoires,
  • Le témoignage de la Fédération des Entreprises de Propreté de ce jour dans le cadre du séminaire « Economie & Sens » de l’Ecole de Paris sur la RSE sectorielle engagée depuis 2008,
  • La démarche de co-construction de l’outillage de l’élaboration des Projets de Territoire impulsée par l’ANPP dans le cadre des CRTE dont le 1er webinaire de partage est demain.

Alors, « l’usine » de la co-construction du bien commun en France : « verre à moitié plein » ou « verre à moitié vide » ? A vous de choisir !