Innovateurs, institutions, investisseurs et ingénieries constituent le quadriptyque de l’innovation. Plus que jamais, il est important de valoriser le rôle de chacun, de comprendre les contraintes liées à leur positionnement respectif, et de (ré)inventer la manière d’activer une articulation féconde entre les quatre dynamiques. L’Agir ensemble ne se contente pas de mots pour résoudre nos maux, mais avant tout d’Actions. Dans la réalité, l’innovation n’est un « long fleuve tranquille » pour personne, alors qu’en dire aujourd’hui ?
En juin 2015, lors du colloque « Alliances & Innovations », Jean-Paul DELEVOYE, alors Président du CESE qui accueillait l’événement, l’a introduit en disant : « L’innovation est une désobéissance qui réussit » ! Tout était dit sur la réalité complexe d’un cheminement qui ne trouve sa valeur et sa reconnaissance qu’à la fin d’un parcours apprenant toujours difficile, souvent frustrant, jamais rapide… C’est ce que traduisait déjà à partir de retour d’expériences le référentiel « Modèle d’investisseur sociétal » publié à cette occasion.
Un an avant, en 2014, l’innovation sociale avait été institutionnellement (re)connue par la loi ESS qui en donne une définition. Depuis lors, les déclinaisons ont été nombreuses pour spécifier les conditions de la conduite du changement systémique que nous vivons actuellement. Pour sa part, Le RAMEAU a éclairé deux réalités structurantes : l’innovation sociétale, celle qui allie innovation sociale ET innovation territoriale, ainsi que les caractéristiques de cette dernière.
Quelle qu’en soient les déclinaisons, l’innovation repose sur un quadriptyque d’acteurs sans lesquelles elle n’existerait pas :
- L’Inventeur: celui qui prend le risque d’essayer sans savoir encore si sa solution sera efficace, reproductible et avoir vérifié l’inocuité de solutions dont les effets induits sont parfois pires que le besoin auquel répond la solution expérimentée.
- L’Institution: c’est elle qui est légitime pour (re)connaitre la valeur de la « preuve de concept ». Dans le chemin du médicament, il s’agit de l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) qui donne la valeur pour l’intérêt général d’une solution éprouvée par la pratique. Dans l’élaboration des politiques publiques, la capacité des institutions à se nourrir des expérimentations innovantes pour les faire devenir de véritables « innovations » à déployer dans l’ensemble de l’écosystème qu’il soit territorial ou sociétal est structurant. A ce titre, si l’institution doit être à l’écoute des inventeurs, la réciproque est vraie pour savoir comment l’invention peut répondre aux priorités collectives fixées par les institutions dans le cadre de l’intérêt général.
- L’Investisseur : c’est lui qui prend le risque de suivre l’inventeur dans son cheminement, et lui donne les moyens d’essayer… et donc peut-être de ne pas réussir ! Il est indispensable de distinguer les « investisseurs » d’expérimentation, les « investisseurs » sociétaux et les investisseurs à impact qui se positionnent à des moments différents du chemin d’innovation. Si les premiers ont vocation à prendre le risque de l’expérimentation, et les troisièmes d’investir à proprement parler lorsque le modèle socio-économique est consolidé, les seconds ont vocation à faire passer de l’un à l’autre ; autrement dit d’assurer le relais entre la « preuve de concept » et la modélisation de la capacité de déploiement. L’investisseur n’est pas un simple « bailleur de fonds », il est un réel partenaire de l’innovation… et de l’inventeur. Il se caractérise par son modèle de financement, mais aussi d’accompagnement et d’évaluation de son engagement. La diversité des profils d’investisseurs est indispensable à tout chemin d’innovation.
- L’Ingénierie: c’est elle qui accompagne les moments « à risque » où l’inventeur ne peut seul identifier les conditions de passage à l’étape suivante. Les 4 zones de risque caractérisées d’une innovation correspondent à des natures d’ingénieries différentes. Celle pour la « traversée du désert » n’est pas celle de la « vallée de la mort », de la « crise de croissance » ou du « saut quantique » …. Savoir choisir l’ingénierie adaptée aux besoins de l’inventeur, à ceux de l’institution et à ceux de l’investisseur est un levier stratégique souvent sous-évalué en France où la valeur de l’ingénierie est (encore) trop peu reconnue.Comment accélérer les démarches d’innovations réellement transformatrices ?
C’est au travers d’un regard croisé entre ces quatre profils d’acteurs que sont nés deux innovations partenariales pour soutenir et accélérer les dynamiques d’innovations réellement transformatrices : le Fonds i en 2018 et le Fonds ODD 17 en 2020. Le premier a pour vocation d’accompagner « l’aval » de l’innovation sociétale, et le second de financer « l’amont » des expérimentations innovantes qui nourrissent l’innovation territoriale.
En « aval », le Fonds i accompagne le déploiement des projets à très fort impact pour l’écosystème français à l’exemple de Wimoov sur la mobilité, de Solifap sur le mal logement ou de Réseau Eco-Habitat sur la précarité énergétique. Comment accompagner non seulement l’inventeur, mais aussi les institutions et les investisseurs dans leur capacité à déployer la solution, et comment mobiliser la diversité des ingénieries pour inventer ensemble une stratégie de déploiement cohérente avec les spécificités de l’innovation ? Telle est la question à laquelle répond le Fonds i en mobilisant la communauté des projets accompagnés, celle des investisseurs sociétaux et celle des accompagnateurs du changement d’échelle des innovations à impact.
En « amont », le Fonds ODD 17 finance ce qui est (encore) très rarement financé malgré la création de valeur et la frugalité démontrées :
- les « petites et moyennes » innovations territoriales qui n’ont pas vocation à grandir mais ont un effet structurant localement en mobilisant l’écosystème territorial pour rendre possible ensemble ce qu’il serait impossible de faire à un seul acteur,
- l’ingénierie du « premier kilomètre des besoins » des petits et moyens territoires qui sont faiblement doté en ingénierie locale.
Après une expérimentation entre 2020 et 2022 qui a fait l’objet d’une quadruple évaluation en 20230, un plan d’investissement 2023-2025 permet de développer ces solutions sur tous les territoires français, métropolitains et ultramarins.
L’illustration de la valeur du « jouer collectif » pour chacun des acteurs de l’innovation
La semaine dernière a permis d’incarner la valeur de ces dispositifs en « Commun(s) » qui mobilisent les engagements de nombreux partenaires. Ils sont en effet des espaces de confiance où peut s’élaborer des réponses concrètes aux défis actuels auxquels aucun acteur seul ne peut répondre.
En pratique, chacun des quatre profils d’acteur a pu exprimer ses enjeux, ses contraintes, ses défis et ses leviers pour développer et valoriser ce qui reste encore « sous les radars » :
- L’Inventeur: le 17 mai, les échanges avec les « Chefs de projet innovation territoriale » ont souligné la difficulté de ceux qui portent les solutions innovantes en proximité. Au moment de lancer le nouveau module expérientiel « l’innovation territoriale en pratiques », il était important d’être à l’écoute des besoins de valorisation des compétences mobilisées pour en faire la pédagogie. Le CEREMA et Le RAMEAU en rendront compte le 13 juin prochain à l’occasion de la Journée du Réseau COMETE animé par le CGDD sur la territorialisation de la transition écologique.
- L’Institution: le 17 mai aussi, l’audition du RAMEAU dans le cadre du GT « Territoire » du Conseil National du Développement et de la Solidarité Internationale a été l’occasion de partager les enseignements du Fonds ODD 17, et les convergences possibles avec les expériences de solidarité internationale des Collectivités locales et territoriales. Les retours des associations d’élus ont confirmé la pertinence d’étudier les synergies entre les différents échelons territoriaux, du local à l’international. Cette audition résonnait avec celle du CESE sur le financement des acteurs d’intérêt général dont l’avis sera voté solennellement le 28 mai Nous devons urgemment inventer de nouveaux modèles socio-économiques de financement de l’intérêt général, que ce soit en proximité de nos territoires ou à l’autre bout du monde pour répondre ensemble aux fragilités grandissantes. Devant l’accroissement des besoins et la raréfaction des moyens, l’équilibre socio-économique d’une solution est devenu un critère de caractérisation d’une innovation au même titre que son efficacité et sa faisabilité. Toute invention qui ne tient pas compte de « l’équilibre de la maison » n’est aujourd’hui pas viable… et donc par nature pas (encore) une innovation.
- L’Investisseur : le 14 mai, la communauté des investisseurs sociétaux animée par le Fonds i s’est réuni autour des retours d’expériences de la Banque des Territoires – au niveau national & régional – et de la Fondation Pierre BELLON. Il était passionnant d’entendre les défis de l’investissement dans l’innovation aujourd’hui, tant en « amont » qu’en « aval », et de rappeler la « zone grise » de la modélisation où les investisseurs prennent le plus de risque… La capitalisation des enseignements et des méthodes qui facilitent une prise de risque résonnée et raisonnable fera l’objet de la publication d’un mode opératoire publié le 17 septembre prochain, à l’occasion du prochain Forum Mondial 3Zéro organisé par Convergences. En parallèle, Le RAMEAU développe un « parcours d’excellence » pour favoriser la valorisation des compétences nécessaires à l’accompagnement des projets d’innovation qui sera présenté le 11 juin à la Communauté des accompagnateurs impliqués dans les missions du Fonds i.
- L’Ingénierie: l’alliance entre le Fonds i et le Fonds ODD 17 a été illustrée lors du Directoire du Fonds i du 15 mai. L’ADASI et INCO ont présenté le 360° stratégique et financier qu’ils ont réalisé pour le Labo des partenariats de Strasbourg dans lequel le Fonds ODD 17 vient d’investir en partenariat avec la Fondation RTE pour consolider un « catalyseur territorial » qui a fait la démonstration de sa valeur depuis… 2008 ! Preuve s’il en faut qu’il ne suffît pas de créer de la valeur et de la frugalité pour pérenniser une innovation pourtant structurante pour son écosystème, l’action du Labo des partenariats de Strasbourg bénéficie d’un double soutien qui incarne l’ODD 17 en pratiques. Pour en comprendre les enjeux, les défis et la valeur, n’hésitez pas à vous inscrire à la 10ème Rencontre des pionniers des alliances en Territoire, le 2 juillet prochain. Vous y (re)découvrirez 350 « catalyseurs territoriaux », tous aussi utiles pour leur Territoire que le Labo des partenariats de Strasbourg dont la diversité et les spécificités font une richesse collective encore peu valorisée.
Ensemble, activons le quadriptyque de l’innovation, et efforçons-nous de mettre en synergie au quotidien des dynamiques complémentaires qui convergent encore peu.
Pour réussir la transformation systémique que nous vivons, les leviers stratégiques à mobiliser sont moins au sein du projet de chacun que dans l’invention de l’articulation des synergies entre tous.