Le RAMEAU est très mobilisé aux côtés de la Fondation des Transitions dans le cadre de l’Université 2020-2021 des Transitionneurs. Notre laboratoire de recherche empirique a animé ce matin l’Atelier « Biens communs, territoires partagés », et a évoqué cet après-midi la capitalisation des fruits de ses travaux sur les compétences nécessaires pour conduire le changement qu’impose l’ODD 17 en pratiques.
L’Atelier « Capacités et compétences, aujourd’hui et demain » était une invitation à prendre du recul. Il s’inscrivait parfaitement dans le « carnet de recherche » de cette semaine sur l’économie de l’alliance. Quel en a été le message porté par Charles-Benoît HEIDSIECK ?
La signature des Objectifs de Développement Durable en 2015 a marqué un changement de paradigme. Non seulement, il s’agissait du 1er Agenda systémique mondial sur le « quoi faire » face aux défis de transformation du XXIème siècle, mais aussi d’un engagement collectif pour ré-inventer ensemble le « comment faire ». Dans leur Sagesse, les Pays du Sud ont en effet imposé qu’un 17ème Objectif soit ajouté. Selon les regards, il correspond soit à un « fourre-tout » institutionnel mal ficelé, soit – tout au contraire – à une philosophie de l’Action inspirante sur les Transformations à l’œuvre dans un monde en gestation. Fort à l’époque d’une décennie de recherche empirique sur la co-construction du bien commun, Le RAMEAU y a immédiatement lu le « signal faible » d’une accélération du « jouer collectif » dont il avait déjà observé l’émergence en France depuis le milieu des années 2000.
Un impact systémique sur les 3 ingénieries collectives
Ré-inventer le « comment faire », c’est se (re)questionner sur les fondements des 3 ingénieries collectives qui permettent aux personnes et aux organisations publiques & privées d’Agir ensemble : l’ingénierie de gestion, l’ingénierie de Projet et l’ingénierie de « catalyse ».
Les 3 ingénieries de l’Action collective transformatrice
La France souffre depuis 200 ans du syndrome de « l’intendance suivra ! », et ne sait pas mesurer la valeur de ses ingénieries et de ses infrastructures. Notre Nation repose sur le mythe que le Discours et le Droit suffisent à eux-seuls pour un « juste » équilibre. Elle en oublie la réalité de l’Action, et donc de l’utilité des « lignes de commandement » qui vont de la décision du « quoi faire » à sa réalisation. Pourtant, la « feuille de route » de l’Agenda 2030 nous invite dès aujourd’hui à ré-évaluer nos 3 ingénieries collectives.
Côté ingénierie de gestion : nous devons collectivement passer de l’optimisation de la gestion financière à l’investissement effectif. Le mythe fondé sur le « Progrès » comme source de bonheur nous a fait croire au XXème siècle que la création de valeur n’était plus une question, et que seul le partage de la richesse devenait l’enjeu. La dérive de l’économie vers sa financiarisation dans les années 1970, accélérée dans les années 1990 pour faire les investissements structurels nécessaires au développement du numérique, nous a éloigné du Sens même de l’économie : « l’équilibre de la Maison ». Il est indispensable et urgent de revenir au concept même de la création de valeur… qui ne se limite pas – comme certains le pensent naïvement – à une meilleure gouvernance des valeurs. Il en va de la différence entre valeur et valeurs, comme de celle entre bien commun et biens communs. L’un est spirituel lorsque l’autre est matériel. L’un et l’autre forment les deux faces de la même pièce. Le retour à une réflexion systémique sur les modèles socio-économiques qui ne se limitent donc pas à leur gestion financière est LA question de l’ingénierie de gestion. Encore faut-il pour ce faire, (Re)Connaître la diversité des modèles et penser leurs articulations. Pour y parvenir, il est utile de commencer par ceux d’intérêt général car ce sont – par nature – les plus complexes, donc les plus éclairants dans les enseignements qu’ils nous livrent sur notre maturité collective[1].
Côté ingénierie de Projet : nous devons collectivement passer de la photo instantanée à la maitrise du tournage du film. Nous avons progressivement appris – notamment grâce au concept de Balanced Scorecard – à passer de la seule proposition de valeur à la qualification des besoins en amont, et à la chaine de valeur en aval. C’est déjà un progrès. Cela permet d’avoir une « photo instantanée » qui va de la racine aux fruits, et cela éclaire sur les articulations nécessaires. Nous avons en revanche oublié qu’un « film » n’est pas qu’une succession de « photos », et que la maîtrise du processus d’innovation nécessite de (ré)introduire la notion du temps, y compris du temps long pour les innovations réellement transformatrices. De plus, l’arbre n’est pas nécessairement représentatif de la forêt ! Encore faut-il savoir comment un Projet se positionne dans son écosystème. Là encore, s’attaquer à l’innovation sociétale est intéressant car il s’agit de la plus complexe des innovations qui est inspirante pour les autres.
Côté ingénierie de la « catalyse » : en (ré)émergence depuis une décennie, nous devons aussi collectivement nous attacher à l’ingénierie du Lien. Elle doit nous permettre de re-passer des silos « Fordistes » aux approches écosystémiques. Re-créer du(des) lien(s) exige de dépasser la cogestion de l’entre-soi pour s’orienter vers la co-construction avec tous. C’est devant l’ampleur de la transformation culturelle que cela exige que l’ingénierie de la « catalyse » – celle de l’interconnaissance et de la mise en relation – s’est progressivement imposée comme une 3ème ingénierie, profondément complémentaire aux deux premières. Elle vient aujourd’hui « au secours » des deux autres pour leur permettre de se régénérer.
Face à cette mutation structurelle au plus profond de nos trois ingénieries collectives, il n’est pas surprenant que le retour aux Territoires s’impose. C’est là où concrètement se ré-inventent nos modèles. Les Territoires sont à l’action collective ce que les paillasses des chercheurs sont aux découvertes scientifiques. Conjuguant des dimensions à la fois naturelles, culturelles, opérationnelles et administratives, les Territoires sont les lieux de la reconstruction. Osons même dire les lieux de la (Re)Naissance, comme ce fut le cas lors de la précédente Renaissance qui marqua l’époque charnière entre l’époque médiévale et l’époque moderne. A cette période aussi, il a fallu à nos ancêtres reprendre le goût de la philosophie, de la littérature et des sciences « anciennes » pour que « Chrysalide devienne Papillon ». Pour se Ré-inventer, il faut en effet savoir Relire son histoire et la Relier à ses défis structurels.
De nouvelles compétences à mobiliser !
Dans une période de Transformation, il faut savoir articuler les 3 dimensions « politique », « opérationnelle » et « stratégique ». Nous devons retrouver un équilibre entre la « juste » Vision partagée, la Gestion régulatrice qui permet d’avoir un cadre commun et l’Action collective transformatrice qui ouvre les voies des lendemains plus féconds. C’est le chemin apprenant qu’il nous faut accepter de prendre… sans savoir encore où il mène au moment où s’engage la démarche. C’est la raison pour laquelle, il est particulièrement pertinent de cheminer avec un « Autre » différent. Plus les regards seront croisés, plus nous aurons la chance de ne pas nous fourvoyer. La « dispute », au sens philosophique du terme, est en soi une première opportunité de ne pas « foncer dans le mur ».
Cette exigence de « l’Autre » avec lequel faire le « pari de la confiance » plutôt que de se réfugier dans le « repli de la défiance » exige trois « postures » complémentaires :
- Côté Vision : savoir se situer plutôt que de s’affirmer, autrement dit apprendre progressivement à se décentrer pour appréhender la valeur de « l’Autre ». Cela touche à la relation entre « moi » et l’entièreté de l’écosystème. C’est une question ontologique.
- Côté Action : savoir se projeter plutôt que de vouloir optimiser ; autrement dit se préparer à un marathon plutôt qu’à un sprint. Cela touche à la valeur du temps qui peut et doit devenir un allié et non un ennemi contre lequel lutter. C’est une question du choix entre le pouvoir et la postérité.
- Côté Gestion : savoir prendre des coups… sans les rendre ! Autrement dit avoir une réelle attitude d’entrepreneur qui sait prendre des risques, tout en ayant la bienveillance face à ceux qui ne savent pas suivre… souvent parce qu’ils ne savent pas ou ont trop peur pour s’y risquer. Nous devons prendre soin de chacun, y compris de ceux qui font croire qu’ils sont forts… par peur d’eux-mêmes. Cela touche à notre rapport à la fragilité : faiblesse individuelle ou force collective ? « Dur aux péchés, tendre aux pécheurs » disait Saint Augustin. C’est aussi la règle de tout innovateur qui sait que son action sera longtemps incomprise…
Pour conclure, il nous faut collectivement retrouver le Sens du Lien commun, non en imposant nos valeurs aux « Autres », mais en acceptant de cheminer avec eux sans toujours savoir où ce chemin nous mène.
C’est là la réelle création de valeur que nous commenterons demain dans le carnet de recherche issu du 9ème webinaire « le moteur de l’innovation sociétale » du programme (Re)Connaissance des modèles socio-économiques d’intérêt général, et dès aujourd’hui, inscrivez-vous à la Rencontre du 12 juillet.
[1] Référentiel « modèles socio-économiques d’intérêt général » (Editions JURIS Associations, septembre 2019)