ODD : Où en sont les entreprises ?

Le témoignage de Florence MORGEN, directrice du développement durable du Groupe Vyv au séminaire « économie & sens » de l’Ecole de Paris du 3 juin a permis de mettre en débat l’état d’avancement de l’appropriation des ODD par les entreprises en France.

L’article « Entreprise et objectifs de développement durable : le flou en mouvement… » qu’a commenté rapidement Nicolas MOTTIS, professeur de management de l’innovation et de l’entrepreneuriat à l’Ecole Polytechnique, résume parfaitement la situation : un « mi-chemin ».

Le mouvement est à l’œuvre, et suffisamment souple pour que chacun puisse s’y reconnaître, et s’engager selon sa maturité. Il était à ce titre intéressant d’écouter la manière dont le Groupe Vyv (1er acteur de santé en France, et 2ème en Europe) a décidé lors de sa création en 2017 de faire du Développement Durable le fil de cohérence de son action. Il s’y est engagé résolument… même s’il ne s’agit pas d’un « long fleuve tranquille », et que l’on ne bouge pas un « porte-avion » de 10 Md€ de chiffre d’affaire et 45.000 salariés comme on bouge une PME territoriale !

3 mots ont caractérisé l’intervention : « rigueur méthodologique », « agir » et « ensemble ».

« Rigueur méthodologique » d’abord (cf. photo du bas de l’illustration de l’article)

La démarche conduite par le Groupe Vyv est exigeante. Elle peut même paraître un peu « rugueuse » parfois, mais le sérieux de l’engagement est à ce prix. Loin de seules déclarations d’intentions ou même d’un rendre compte lié aux contraintes réglementaires, choisir les ODD comme fil conducteur de sa stratégie pour incarner la « promesse mutualiste » qui fonde l’existence même du Groupe est un véritable challenge. Comment ne pas comprendre alors que la crédibilité de la démarche dépend de sa qualité méthodologique ? Comment alors s’étonner qu’elle soit complexe dans une appréhension systémique des enjeux actuels ?

Le récit conté par Florence MORGEN montre que nous sommes loin des mots magiques et des boites à outils miracles pour tenter d’appréhender la mécanique globale d’un Groupe qui touche 10 millions de Français et 1.000 établissements sanitaires & sociaux. La Promesse de « Protéger et améliorer la vie ensemble » mérite que l’infrastructure d’analyse des résultats et des impacts soit à la hauteur. Dès lors, la double question de Patrice SIMOUNET est pertinente : « les ODD sont-ils un langage universel ? » et « la PME du Cantal peut-elle se saisir des 17 ODD ? ». La réponse est claire : doublement oui ! D’une part, les Objectifs de Développement Durable ne sont pas seulement un processus institutionnel, ils sont les engagements pris par les Pays auprès de l’ONU. Ils ont validé ensemble des Objectifs précis à atteindre d’ici 2030 pour être en mesure de piloter la transformation systémique de ce début de millénaire. D’autre part, l’exercice réalisé par la PME Ana Bell Group de Montargis (cf. photo de gauche de l’illustration de l’article) montre que le questionnement peut être simple est pertinent : « face aux 17 ODD, 3 questions : que devons-nous faire (responsabilité), que pouvons-nous faire (capacité) et… que voulons-nous faire (envie) ». Cet exercice réalisé à l’automne dernier avec la trentaine de salariés de cette PME territoriale a été très riche d’enseignements comme nous l’avez indiqué Luc BELLIERE, dirigeant de l’entreprise, qui est venue présenter sa démarche lors d’une précédente session du séminaire « économie & sens » de l’Ecole de Paris. Les ODD permettent ainsi de relier et de relire ses propres actions au regard des défis communs pour lesquels nous avons tous un rôle à jouer.

« Agir » ensuite

Le cadre méthodologique ne suffit pas. S’il est important pour suivre et capitaliser les fruits du cheminement, il n’a d’intérêt que s’il est incarné par l’action. A titre d’exemple, la question « entreprise et handicap » est intéressante à creuser. Comme l’a rappelé Florence MORGEN, l’approche systémique des ODD invite à appréhender très largement les questions traitées, et à ne pas se limiter à de premières évidences. « Si la question du handicap dans l’entreprise concerne naturellement les salariés en situation de handicap, faut-il oublier pour autant que le parent d’un enfant autiste ne laisse pas sa situation au placard lorsqu’il quitte son domicile pour se rendre à son travail ? ». L’équation est bien plus complexe qu’il n’y parait, et pour la résoudre, il faut commencer par dialoguer avec ceux qui sont au cœur du sujet.

Croiser les regards permet d’identifier concrètement comment « agir ». C’est tout le sens de la démarche de dialogue avec ses parties prenantes que le Groupe Vyv à organiser sur le handicap en novembre dernier (cf. article « dialogue partie prenante : un besoin d’innovation). Comme l’a souligné Nicolas MOTTIS, il est essentiel de favoriser une dynamique de « terrain » car cela génère de l’envie et un foisonnement d’initiatives. En réponse à l’interrogation d’une participante sur la difficulté à passer à l’action, il déclare : « Lancez la démarche, et vous constaterez l’effervescence ! ». Une condition cependant que rappelle Jean-François MOLLE de Danone, il est indispensable que ce soit connecté à l’activité de l’entreprise et traduit dans des objectifs managériaux clairs afin de pouvoir voir une évolution réelle.

« Ensemble » enfin

Il ne suffit pas de dire « co-construction » pour être en mesure de le faire ! La démarche d’engagement de l’intégration du développement durable dans le développement de l’entreprise exige de « jouer collectif ». « Apprendre à faire alliance » est un objectif en soi. L’ODD 17 est là pour nous le rappeler… Il n’est pas facile de sortir de sa zone de confort et de se confronter aux autres acteurs de son écosystème pour construire avec eux des solutions pertinentes. Après tout juste deux ans de cheminement, le Groupe n’en est pas encore là… mais qui peut le lui reprocher ? Qui peut avoir aujourd’hui l’arrogance d’affirmer qu’il a su démontrer sa capacité à co-construire le bien commun avec son écosystème ? C’est justement tout le challenge devant nous. Des acteurs matures pour passer à l’action, il y en a. Des « preuves de concept », il y en a. Mais une démarche systémique inclusive déjà opérationnelle… c’est ce qu’il nous reste collectivement à construire. Aucun acteur seul ne peut prétendre y parvenir. C’est « ensemble », au sein d’un écosystème riche de sa diversité que c’est possible. Aujourd’hui, s’il n’est pas encore possible de le constater d’un point de vue global, les territoires sont déjà des lieux d’incarnation de l’efficacité de ces dynamiques collectives. C’est ce que témoignent les 350 « catalyseurs territoriaux » qui maillent la France, et c’est ce que souhaite valoriser le programme ministériel de 21 mesures pour accélérer les alliances stratégiques entre associations, entreprises et collectivités. L’impulsion est là, il nous reste ensemble à la traduire en actions.

Rendons hommage aux risques que prennent les « pionniers »

Questionné par Michel BERRY, directeur de l’Ecole de Paris, sur l’importance d’un tel témoignage, Charles-Benoît HEIDSIECK, président-fondateur du RAMEAU avec lequel l’Ecole de Paris est partenaire depuis 2014, a tenu à rendre hommage à ceux qui savent prendre le risque d’essayer. Dans un contexte et un climat où il est plus facile d’être septique qu’en confiance, il est indispensable de (re)connaitre le rôle d’éclaireur de ceux qui acceptent d’essayer de faire autrement. « La critique est facile, mais l’Art est difficile ! ». Malgré ses limites, ses essais-erreurs, sa temporalité longue – ou plutôt grâce à tout cela – , la démarche engagée par le Groupe Vyv d’essayer d’intégrer les ODD dans son développement d’entreprise est exemplaire.  A titre de comparaison, lorsqu’en fin des années 2000 le Groupe Danone fut le premier à créer une Commission RSE au sein de son Conseil d’administration, le « signal faible », repéré par les travaux de l’époque de l’Institut Français des Administrateurs sur « stratégie & RSE », était que la RSE quittait le seul domaine managérial pour s’inscrire dans une dimension politique & stratégique de l’entreprise. Qui l’avait compris à l’époque ? Et pourtant, la Loi PACTE de 2019 trouve sa source dans ce changement de positionnement de la Responsabilité de l’Entreprise. Ce « signal faible » est devenu fort en 2013 lors des Assises de l’Entreprise (cf. la note de réflexion stratégique  l’Entreprise Responsable), mais au sein du Groupe 5 « l’Entreprise Responsable » présidé par Nicole NOTAT qui alors croyais que la proposition de Blanche SECRESTIN de l’Ecole des Mines de modifier le Code civil se traduirait 7 ans après par la modification des articles 1833 et  1835 du code civil ?

Ne négligeons donc pas « l’effet papillon » ! Ce n’est naturellement ni Danone, ni Blanche SECRESTIN qui ont changé l’écosystème, mais ils ont été les témoins d’un changement à un moment charnière de notre capacité collective à accepter de changer de regard. Alors à son tour, le Groupe Vyv est-il l’éclaireur de notre capacité à réussir les ODD en les inscrivant comme la boussole de notre action ? Nous aurons la réponse dans 10 ans pour en constater les effets réels. D’ici-là, soyons vigilants, attentifs aux « signaux faibles » qui s’intensifient, et faisons le « pari de la confiance » en grossissant tous les jours le nombre de « pionniers » qui, comme le Groupe Vyv, essaient de conduire le changement nécessaire au travers de démarches apprenantes de co-construction du bien commun.

Pour aller plus loin sur l’appropriation des ODD par les organisations en France, n’hésitez pas à consulter :